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litterature irlandaise
16 janvier 2015

Le sort en est jeté

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Traduction : Marie Hermet

Septembre 2009, Joey, 16 ans et 8 jours,  fait sa rentrée à Stradbrook College, son nouveau lycée, après avoir été victime de harcèlement dans le précédent. C'est un adolescent fragilisé et pas très à l'aise dans ses baskets qui pénètre dans la classe, bien décidé à se fondre dans la masse, à devenir le plus invisible possible. Pourtant, il ne pourra éviter la rencontre avec le magnétique Shane O'Driscoll, nouvel élève qui arrive le même jour que lui. Et c'est aussi sans compter pour son attirance vers Aisling, la belle fille aux cheveux noirs presque bleus.

Joey a perdu son père quand il était encore bébé. Musicien perfectionniste, il cherchait le son qui le rendrait immortel. Mais il se tue dans un accident de voiture devant les ruines du Hellfire Club, où autrefois des joueurs débauchés se saoûlaient de whisky de contrebande adouci au beurre fondu, en portant un toast à la santé du diable... Ce lieu traîne également une légende sulfureuse (que je ne vous raconterai pas mais qui vous fiche des frissons).
1932 : Thomas découvre le jazz . Pour le père O'Connor c'est la musique du diable parce que c'est une musique qui vole les âmes. A cette évocation, le médecin de Thomas éclate de rire et lui explique ce qu'est un changeling : une créature maléfique ni morte ni vivante que les mauvais esprits déposent dans un berceau, à la place d'un bébé...

Et puis il y a cette maison en ruine, que tout le monde pense inhabitée...

Nous sommes en Irlande, à Blackrock et ses environs, à quelques encablures de Dublin. Dans un contexte très contemporain et réaliste. Pourtant Dermot Bolger tricote un récit qui vous fera plonger, de manière vertigineuse dans un autre univers. Celui du fantastique mais néanmoins tout en semant le doute dans votre conscience de lecteur. En tout cas, tout au long de ce récit qui se partage entre les années 30 et 2009, de manière non chronologique, je me suis vraiment posé des questions et demandé comment l'écrivain allait arriver à retomber sur ses pieds.

Joey, Shane et Aisling ont comme point commun d'être fragilisé par la vie à un moment clé de leur existence. Ce sont également des êtres solitaires, timides et sauvages qui ont du mal à nouer des contacts avec les autres. Même chose pour Thomas. Leur histoire respective est dévoilée au fur et à mesure, de manière fragmentée. Elles résonnent comme des échos vertigineux, comme un sortilège dont on ne peut se défaire. C'est du moins ce qu'on essaie de leur faire croire.  Mais justement, qui est vraiment Thomas ? Qui est vraiment Shane ? Qui ment ? Qui tire les ficelles de la manipulation ? Qui sera assez fort pour s'en sortir et devenir libre ? "Parfois, il faut partir loin de chez soi pour découvrir qui l'on est vraiment. Il y a très longtemps, quelqu'un m'a dit qu'en chacun de nous se cachent plusieurs personnalités, des bonnes et des mauvaises, qui attendent l'occasion de se manifester."

Un suspense intenable va vous mettre la tête à l'envers avant de vous la retourner à l'endroit. La solution se trouve dans les toutes dernières pages du roman, tout en laissant votre part d'imaginaire faire un choix.

Un beau roman sur l'identité, les âmes errantes qui se cherchent. Un roman qui sonde les psychés adolescentes de manière incroyable mais aussi un sacré thriller à la fois fantastique et psychologique qui révèle l'étendue du talent de Dermot Bolger.
Un livre différent de ceux que j'ai lus de lui jusqu'à présent (mais on retrouve son goût pour le fantastique et le gothique, comme dans  Toute la famille sur la jetée du Paradis). Son premier roman "ado/jeune adulte" mais qui pour moi dépasse largement cette catégorie.

Avis aux amateurs de frissons et de littérature irlandaise : quel que soit votre âge, vous allez adorer ! Je le classe "1er coup de coeur 2015".
Je vous reparle de Dermot Bolger bientôt car j'ai aussi Le ruisseau de cristal dans ma Pile. Et tout un autre tas de nouveautés irlandaises dont je n'ai pas encore eu le temps de parler !

Merci à Flammarion Jeunesse.





 

 

 

 

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13 janvier 2015

Nouveauté irlandaise !

 

Demain, 14 janvier, paraît un roman irlandais que j'attendais depuis des mois (il y a des témoins :) )
Un roman de l'écrivain Dermot Bolger mais catégorie "ado/young adult". Sans doute le premier de l'écrivain à être traduit en français dans cette catégorie.
Mais je peux déjà vous dire, pour être plongée dedans sans pour autant l'avoir terminé, qu'il intéressera tous les adultes.
Surtout ceux qui aiment les vieilles baraques en ruines qui recèlent bien des secrets, les superstitions, les êtres mystérieux, les âmes errantes, le jazz et... tout simplement l'Irlande !

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J'avais initialement prévu de rédiger un billet aujourd'hui. Mais les événements de ces derniers jours ont bouleversé mes habitudes de lectrice, tant mon coeur s'est retourné.

Je vous reparle dans les jours qui viennent de ce livre qui me tient en haleine et est à la hauteur de la réputation de l'écrivain.
Donc demain, c'est Charlie et c'est Dermot !
Enjoy folks !

24 décembre 2014

Mon père est parti à la guerre

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Traduction : Catherine Gibert

Alfie fête ses cinq ans le jour du début de la Grande Guerre. Il ne comprend pas pourquoi tous les adultes sont si affolés, tristes ou excités. A l'heure où il raconte son histoire, il a neuf ans et essaie de se rappeler comment était la vie à Londres, dans sa rue, comment c'était avant que la vie de sa famille ne change radicalement.
Alfie est un petit garçon très intelligent. Il assiste médusé à son monde qui s'effondre. Il observe le petit théâtre du monde en guerre de son oeil d'enfant. Il ne comprend pas pourquoi sa meilleure amie, Kalena,  et son père, l'épicier d'origine tchèque chez qui il a l'habitude d'aller acheter des bonbons, sont soudainement chassés de sa rue par les autorités britanniques et déportés à l'île de Man. Ils ne sont pas allemands. Mr Janacek a quitté son pays par amour pour une Anglaise et les Anglais, maintenant le chassent ! Comme ils banissent sa fille qui possède la nationalité britannique. C'est absurde !

Le père d'Alfie s'est enrôlé, persuadé comme nombre de ses compatriotes, que la guerre ne durerait pas, que tout serait fini à Noël (c'est d'ailleurs ce qu''il entend à longueur d'année, pendant cette guerre, qui, pourtant, n'en finit pas !). Au début des lettres arrivent. Puis plus rien. Alfie mène l'enquête auprès de sa mère, Margie : où est son père ? Est-il mort ? Il soupçonne effectivement très fortement sa mère de lui dissimuler le décès son père. Margie lui raconte qu'il est en mission secrète et que c'est pour cela qu'il n'envoie plus de lettres.
L'ambiance à la maison se dégrade : Margie travaille dur à l'hôpital pour soigner les soldats. Mais comme ça ne suffit pas, elle fait aussi des "extras" en tous genres. Alfie décide en cachette d'aller cirer les chaussures à la gare pour ramener un peu d'argent, qu'il glisse ni vu ni connu dans le porte-monnaie de sa maman. En observant et en écoutant, il finira par découvrir la vérité. Encore plus effroyable que ce qu'il pouvait imaginer. Pourtant, intrépide, il se lance dans l'aventure, oubliant sa peur.

Un magnifique roman jeunesse qui allie suspense et documentation sur l'Angleterre de la Grande Guerre. Alfie mène l'enquête pour trouver ce qu'est devenu son père et il réussit !
John Boyne, merveilleux conteur (forcément, il est Irlandais!), arrive à faire passer le message de l'effroyable avec tact, sans pour autant dissimuler la vérité. La guerre ça tue de plusieurs façons : physiquement et psychiquement. La guerre, ça rend fou. J'ai aimé la manière dont il aborde la psychose traumatique du soldat et le message pacifique qui se cache derrière. La guerre c'est quelque chose d'effroyable au-delà de ce qu'on peut imaginer. Aflie trouvera du renfort dans sa détresse pour sauver son père auprès du meilleur ami de celui-ci : Joe Patience, objecteur de conscience, qui lui explique : "Je n'ai pas été mis au monde pour tuer mon prochain", même si on l'a jeté en prison pour cette idée-là, pour refuser d'aller à la guerre, alors que s'il tuait quelqu'un dans la rue, on l'aurait jeté en prison pour avoir tué. Même si tout le monde lui claque la porte au nez pour ses idées, lui jette des pierres etc.  Brillante démonstration de l'absurdité des choses en temps de guerre.

Un très bel hommage aux soldats de la Grande Guerre. Un jeune héros très attachant, qui croisera même Llyod George. Une trame narrative habilement menée.
Un roman coup de coeur qui sera au pied du sapin !


Joyeux Noël ! Nollaig Shona !

14 décembre 2014

Prière d'achever

 

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 Traduit par Pierre Brévignon

M. Berger est un célibataire dont l'existence, vue de l'extérieure, peut paraître morne : il travaille comme préposé au Registre des comptes clôturés au service Logement d'une modeste municipalité anglaise. Son travail consiste à "recenser les bénéficiaires des logements sociaux qui, après avoir quitté ou abandonné leurs appartements, laisse[nt] des arriérés sur leur compte". Ce job pas folichon ne lui convient évidemment pas, même s'il ne l'avoue pas. Son rêve c'est d'écrire des romans parce que sa passion c'est la littérature. A un point obsessionnel. Suite à déménagement de son service dans des locaux plus modernes dessinés par Le Corbusier (nous sommes en 1968), et au décès de sa mère qui lui laisse un mini-héritage, M. Berger décide de quitter son boulot et de partir s'installer à la campagne pour écrire.
Quelques temps après son arrivée, il assiste médusé au suicide d'une jeune femme au sac rouge sous les roues d'une locomotive. Perturbé, M. Berger le sera encore davantage quand, quelques jours plus tard, il assiste de nouveau à la même scène. Il court signaler l'événement dramatique à la police locale, qui, bien évidemment, le prend pour une personne dérangée, conséquence du décès de sa mère ! M. Berger décide donc de mener seul son enquête, qui le conduira à la découverte d'une bien étrange bibliothèque oubliée de tous, la Caxton Private Lending Library & Book Depository, et de son propriétaire, M. Gedeon.

Tout d'abord, une ENORME faute de traduction sur la quatrième de couverture ou le mot Library (du titre VO) a été calqué par "librairie" : pourtant, c'est basique  : librarie en anglais c'est bookshop ! A croire que la rédaction n'a pas été faite par quelqu'un qui a réellement lu le livre... Heureusement, la traduction de la novella par Pierre Brévignon ne commet pas cet impair (quand même !).
Et heureusement, l'intrigue tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre !

J'avoue, c'est le premier livre que je lis de l'Irlandais John Connolly dont j'ai entendu dire que ses polars étaient très noirs, très glauques, très déprimants et j'en passe. Celui-ci n'est pas tout à fait un polar mais plutôt un mélange de roman policier et de conte fantastique (version novella - court roman - genre très prisé en Irlande) sur le thème de la littérature, des livres, des bibliothèques, du rapport du lecteur aux personnages. Bref, un "bibliomystery". Une histoire pétrie de jolies références et de phrases qui font sourire sans pour autant tomber dans le cliché ringard . On ne s'ennuie pas une seconde. On plonge sans problème au-delà de la notion d'espace-temps avec laquelle Connolly joue, même si ce qui se déroule sous nos yeux est tout à fait incroyable. Beaucoup d'humour aussi.

Quelques extraits :

"Le point de départ, expliqua M. Gedeon, c'était le public. Arrivait un moment où certains personnages étaient devenus tellement familiers aux lecteurs - et même à ceux qui ne lisaient pas - que leur existence devenait indépendante de leur vie sur la page."

"J'ai rencontre Hamlet à l'arrêt du bus 48B. Le pauvre vieux... Il était là depuis un bon bout de temps. Il avait laissé passer au moins huit bus" : ben oui, ça prend du temps de soliloquer :)

Un seul reproche à faire : c'est trop court ! On en redemande !  J'ai adoré. Prix Edgar Allan Poe 2014 : pas étonnant !




28 novembre 2014

Fille de la campagne

 

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Traduction : Pierre-Emmanuel Dauzat

Ce bouquin a atterri dans ma pile par malentendu en quelque sorte : je pensais acheter le fameux Les  Filles de la campagne qui a rendu Edna O'Brien célèbre. Je me suis trompée, à un singulier (et un article) près. Mais à l'heure où les Irlandaises se battent pour le droit à l'avortement, ce livre tombe à pic pour en savoir plus sur la condition féminine de l'île verte.

Edna O'Brien, née en 1932, revient en effet ici sur sa vie (ce sont ses mémoires). Des études de pharmacie (première surprise !) qu'elle a suivies sans vraiment avoir le choix puisque c'était celui de ses parents. Néanmoins elle était déjà "convaincue qu'un jour [elle] rencontrerai[t] des poètes et qu'un jour [elle] serai[t] admise dans le monde des lettres". Des parents rigoristes et pas vraiment nets (mère névrosée, père violent)  qui l'envoient en pension où elle vit cette période comme une incarcération. Cela la poussera à obtenir son examen avec un an d'avance et dans une relation étrange avec une jeune religieuse, avant que celle-ci disparaisse mystérieusement du couvent (on imagine pourquoi). Sa rencontre avec l'écrivain tchèque Ernest Gléber, qu'elle épouse contre l'avis de ses parents. Une fuite en avant pour échapper à l'univers familial étouffant  (elle pense que ses parents vont vouloir l'enfermer suite à sa grossesse hors mariage, et le mariage contre leur avis) et un pays schizophrène. Elle s'exile à Londres en 1958.

Néanmoins, si le succès littéraire arrive facilement, le calvaire n'en est pas fini parce ce Gléber ne supporte pas d'avoir à ses côtés un écrivain féminin plus brillant que lui et il va jusqu'à lui prendre ce qu'elle gagne avec ses livres ! Jusqu'au jour où elle refuse de lui donner, s'enfuit avec ses deux enfants, et demande le divorce.

Edna O'Brien brise toutes les chaînes. Ce qui fera d'elle une sorte de paria mais la rendra célèbre. On dit qu'elle écrit de la pornographie : "Le débat s'élargit alors pour savoir s'il fallait bannir d'Irlande la pornographie hardcore. Je répondis que je n'avais jamais lu de pornographie hardcore ni en Irlande ni en Angleterre."
Les écrivains masculins ne se gênent pas pour la dénigrer : "Interrogé sur mon livre par Jack Lambet, l'écrivain L. P.  Hartley décréta qu'il s'agissait de l'histoire frivole de deux nymphomanes irlandaises." (en parlant des Filles de la campagne). Alors quel scandale quand elle écrit dans un article qu'"il convenait de réécrire les serments du mariage au bénéfice de la femme" !

De nombreuses personnalités du monde artistique et du show biz (comme Paul McCartney) hantent ce livre. Ce n'est peut-être pas la dimension la plus intéressante par moments. Il y a quelques longueurs. Néanmoins on apprécie de voir dépeint les petits défauts de Patrick Kavanagh, qu'on imagine tout sympathique et lisse, mais qui était quand même sacrément barge,  vivant avec des boîtes de sardines dans sa baignoire et un rétroviseur de camion à sa fenêtre !

Quelques chapitres aussi sur les "événements" en Irlande du Nord dans les années 80, et l'absurdité des choses.

J'ai globalement beaucoup appriécié ce livre qui permet de cerner l'oeuvre de l'écrivain qu'est Edna O'Brien autant que l'étau qui enserrait l'Irlande (et continue à serrer les femmes en niant leur droit à disposer de leur corps) . Un ouvrage pétri de poésie et d'ironie, où on a l'impression qu'Edna O'Brien ne se censure (toujours) pas et dit ce qu'elle a a dire. Je dirai qu'il faut peut-être même lire ses mémoires avant de lire ses romans. Je n'en ai lu qu'un (Crépuscule irlandais) que je n'avais pas aimé. Mais depuis, je me suis procurée le fameux Fille de la campagne (presque collector !), La maison du splendide isolement (sur le conflit nord-irlandais) et Tu ne tueras point (sur le droit à l'avortement).

 

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21 novembre 2014

Irlande, nuit celtique

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Morris habite à Limerick. Morris travaille pour Compuflex, une société américaine qui a profité des avantages fiscaux offerts par ce qu'on a appelé le Tigre celtique. Seulement voilà, le Tigre, c'est fini. Il n'en reste plus que la carcasse. Et c'est l'univers de la nuit qui s'abat sur Morris, divorcé, père d'un grand enfant qui travaille pour une banque... Après quinze ans de bons et loyaux services, Compuflex licencie Morris de la manière la plus lâche qui soit : aucune information préalable au licenciement, juste une lettre, "projectile de mots bruts" qui descend Morris en plein vol. C'est trop dur à affronter pour cet homme célibataire et plutôt solitaire. Impossible de l'avouer à sa famille, encore moins à ses amis. Mais aussi celui d'un regard introspectif sur lui-même. Et une descente aux Enfers.

Je vous le dis d'emblée : oubliez l'Irlande et ses images d'Epinal : les jolis paysages, les ponies, les tourbières etc. C'est ici une Irlande de désolation économique contemporaine que brosse Dominique Le Meur. Des Irlandais floués et laminés par un gouvernement qui a mis en place un système ultra-libéral et des banques qui ont fait croire aux Irlandais qu'ils pouvaient tous devenir propriétaires, emprunter et rembourser sans problèmes. Pour un peuple qui a tant souffert, c'était trop tentant. Seulement la crise a planté ses crocs en Irlande dont l'économie a été la première à vaciller en Europe, parce que  fragile comme une bulle de savon : la grande majorité des investissements sont celles de société étrangères, américaines en particulier, appâtées par un système fiscal avantageux, le profit et bien peu de considération pour la main-d'oeuvre... Ainsi, la société informatique pour laquelle travaille Morris délocalise... en Pologne.

Comble de l'ironie, c'est avec une Polonaise que le fils de Morris s'apprête à se marier, ce fils qui lui-même travaille pour une des banques qui a floué un de ses anciens collègues qui vit maintenant dans un lotissement fantôme, abandonné, comme on en dénombre tant en Irlande depuis la crise. Un bidonville irlandais, parcouru par une route inachevée et défoncée, sans eau courante et un système électrique aléatoire. Des gens oubliés de tous, qui ne peuvent pas aller vivre ailleurs puisqu'ils ont emprunté des sommes astronomiques pour acheter leur bien. Je savais que ces lotissements existent, (j'en ai vu à Tralee). Mais j'étais à un million d'années lumière de me douter de l'état dans lequel on a laissé ces personnes. Il n'y a qu'un mot (et pas assez fort pourtant) : REVOLTANT !

La dépression dans laquelle s'enferme Morris, l'amène à repenser à son enfance, surtout les jours de cuite. Et ce sont les vieux démons qu'il a enterrés toute une vie qui remontent  : comme tous les enfants irlandais, Morris a suivi sa scolarité dans une école religieuse. Mais lui était interne. Vous le savez sans doute maintenant, car les médias ont relayé les scandales qui se sont déroulés dans ces écoles. Les prêtres pédophiles, tout ça... Dominique Le Meur ne cache rien de ce qui s'est passé dans ces instituts. On en reste estomaqué et frissonnant d'horreur !

Un roman très bien documenté sur l'Irlande contemporaine, dont il ne reste plus que de la "peau de tigre en lambeaux", où l'on traite les travailleurs qui ont permis aux sociétés étrangères de s'enrichir comme des déchets, de simples rebuts. Un livre tout à fait juste dont je partage absolument la vision des choses. Un roman qui n'est pas non plus dépourvu d'humour (à l'irlandaise !)

Un livre qui m'a émue parce que, au-delà des thèmes abordés, je connais Limerick, ville ouvrière. J'ai connu des étrangers (slovaques et tchèques) qui se sont fait exploités par Dell ("Dell, go to Hell" était la rengaine qu'ils lançaient le soir en rentrant épuisés par des journées interminables), avant que Dell déménage effectivement en Pologne, renvoyant Limerick a sa misère quasi-légendaire. Parce que je connais très bien Limerick qui est ma presque ville d'adoption et qu'en lisant je dialoguais avec un Irlandais de là-bas. Et ce que je lisais pour la partie économique, concordait avec ce qu'il me disait. Mais les Irlandais ne sont pas toujours du genre à se plaindre ouvertement, ils ont toujours ce côté optimiste que les Français n'ont pas. Malgré tout, ce n'est pas si difficile de voir sous le vernis de l'humour. Ce livre va d'ailleurs maintenant passer dans les mains de l'Irlandais de Limerick. J'attends son avis avec impatience !

Un bel hommage aux Irlandais victimes d'abus de toutes sortes.

Quelques mots sur l'auteur : Dominique Le Meur est français (et presque voisin de chez moi), vit à Limerick où il est professeur de français à l'université de la ville (que je connais aussi !). J'ai découvert  cet auteur par hasard, par les réseaux sociaux où il a créé sa page et trouvé la mienne qui relaye ce blog, je crois que c'est ça... Passionné par la littérature irlandaise, les Irlandais et ce pays autant que moi, j'ai eu envie de découvrir son regard de français sur l'Irlande par le prisme du roman.

Il a aussi un site personnel : voir ici et vous pouvez vous procurer ce livre (et les autres) en format numérique (celui-ci pour un prix dérisoire) ou en version papier.




 

16 juillet 2014

Les âmes égarées

 

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Depuis Muse, nous n'avions pas de news de Joseph O'Connor, en France. Et puis, le revoici, avec, cette fois, non pas un roman, mais un recueil de nouvelles (le deuxième après Les Bons Chrétiens publié en 2010), dédié à Dermot Bogler, qui n'est pas tout à fait étranger à ce volume. Les textes ont été publiés sur divers supports, remaniés, puis enfin réunis dans ce livre, sous le titre original de Where have you been ?. Il faut lire la page des remerciements, située à la fin du recueil, avant de commencer à le lire : on y apprend notamment que "Deux petits nuages" est un écho à "Un petit nuage", nouvelle de James Joyce. On apprend aussi que Joseph O'Connor s'est amusé avec les textes antérieurs et même les chansons irlandaises qu'il fait chanter à ses personnages. Il en fait revenir certains, qui étaient dans Les Bons Chrétiens ou reprend des phrases de Muse... Il s'est aussi inspiré de la réalité, comme l'ont fait ses prédécesseurs...

La majorité des nouvelles du recueil se déroulent dans l'Irlande de la crise économique, à Dublin et dans sa région. Parfois aussi avant : "The Wexford Girl", se situe en 1975 ; "Le Feu de la jeunesse" et "Orchad Steet, à l'aube" nous propulsent respectivement  à Londres en 1988, lors d'un match de foot historique entre l'Irlande et l'Angleterre et à à New York en 1869.

Toutes ces nouvelles néanmoins mettent en scène des hommes et des femmes tourmentés, en proie à une souffrance qui conduit parfois à la mort. La crise économique contemporaine y est pour quelque chose, évidemment, mais les crises antérieures qu'a connu l'Irlande aussi. Celle qui a vu s'expatrier les Irlandais vers les Etats-Unis et New York en particulier, très bien évoquée dans le poignant "Orchard Street, à l'aube", qui donne des frissons jusqu'à la chair de poule. Cette nouvelle est inspirée de la vie d'une famille ayant réellement existé. Dans la novella "Un garçon bien-aimé", Cian Hanahoe, qui dirige "le département des prêts immobiliers auprès d'une banque d'investissement irlandaise", démissionne après avoir passé cinq semaines en hôpital psychiatrique pour ce que son médecin excentrique nomme "un épisode".

Tout cela n'a pas l'air très joyeux. Effectivement, ça ne l'est pas toujours, mais cependant O'Connor ne se morfond pas non plus dans le pathos à se pendre. Son recueil recèle également une bonne dose d'humour ! C'est même ce qui ouvre le recueil. Dans "The Wexford Girl", le narrateur, qui s'appelle Patrick (comme son père, son grand-père, son arrière grand-père et son arrière arrière grand-père), explique le "craic" préféré de son paternel :
"Mon père disait que la mer ça fait du bien aux gens. Il disait que plus on se rapproche de la mer, plus on est sain d'esprit. D'après lui, c'est pour ça que les gens de Dublin sont vraiment des gens bien, dans l'ensemble. Et c'est pour ça aussi qu'ils sont tous dingues à l'intérieur des terres. Ils sont trop loin de la mer. C'est pas bon pour le cerveau."
Et son père mourra de rire (du moins c'est ce qui se dit) et dans sa vie, il rêvait d'être comique. Sachez qu'en Afrique, "tu sues tellement que tu te ramènes chez toi dans une bouteille".

Les pères ou du moins les hommes, sont la mémoire de la métamorphose de l'Irlande dans ce recueil. Patrick raconte la construction de la jetée de Dun Laoghaire : son arrière arrière grand-père a participé à la construction alors qu'il venait habiter dans le coin en 1848, depuis les Liberties, le quartier miséreux de Dublin. Il y a laissé sa sueur, avec tous les hommes venus extraire la roche des carrières de Dalkey. Et c'est en 1852, l'année de la construction du phare de Dun Laoghaire qu'il épousa l'arrière arrière grand-mère du narrateur. Le père du narrateur rencontra sa mère au pied du phare un jour de 1962. Plus tard, l'explosion immobilière et les bobos sont passés par là... La petite ville de la banlieue de Dublin occupe d'ailleurs une place importante dans le recueil. C'est la ville d'enfance du personnage de "Un figurant sur la photo", qui habite le Dublin de 2010; c'est là que cette même année, dans "Un garçon bien-aimé", Cian Hanahoe donne rendez-vous à sa nouvelle amie, "à l'ancien hôtel Elphin de Dun Laoghaire, transformé en pub gastronomique, avec terrasse chauffée", une manière de prendre un nouveau départ.

Enfin, passé et présent se rejoignent aussi parce que les nouvelles sont pétries de références littéraires, hantées par Beckett, Joyce, Patrick Kavanagh, Synge, Sean O'Casey et j'en oublie sûrement !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce livre, parce que Joseph O'Connor, monument national de la littérature irlandaise, est un écrivain complexe. Je me suis régalée à cette lecture.

Je déplore juste une édition française pétrie de coquilles, à tel point que je me demande si l'éditeur ne m'a pas envoyé une version non corrigée. J'en ai trouvé quatre... ça commence à faire beaucoup !

Je remercie néanmoins Babelio et Phebus pour l'envoi de l'ouvrage.



 

 

 

 

 

5 juillet 2014

On Canaan's Side

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Lilly est une vieille femme de 89 ans. Elle vient de perdre Bill, son petit-fils et pense mettre fin à ses jours. Mais avant cela, elle a décidé de vous raconter sa vie... Lilly vit à Washington mais elle est irlandaise. Elle a dû fuir son pays dans les années 20 parce qu'elle s'est amourachée de Tadg, le compagnon de tranchée de son frère Willie. Celui-ci, contrairement à Willie, est revenu vivant du bourbier picard de la Première Guerre mondiale. Comme il a besoin de travailler, il s'engage par hasard, sans trop savoir pourquoi, dans la milice des Black and Tans. Seulement voilà, l'IRA ne fait pas de cadeaux à ceux qu'ils considèrent comme des traitres. Lilly et Tadg s'embarquent donc pour New York pour échapper à leurs tueurs. Seulement, l'IRA a des ramifications aussi de l'autre côté de l'Atlantique. Et c'est le début d'une vie mouvementée et riche d'expériences pour Lilly, qui encaissera bien des tragédies ...

Tout d'abord, il faut signaler que On Canaan's Side (disponible en français chez Folio sous le titre Du côté de Canaan) est la suite du magnifique roman Un long long chemin. Il n'est pas forcément nécessaire de le lire mais ça aide à comprendre les allusions au début du roman et à comprendre qui est le père de Lilly, ainsi que l'époque compliquée dans laquelle ils vivent. C'est en fait le troisième roman que Sebastian Barry consacre à la famille Dunne, le premier étant Annie Dunne.

L'épopée de Lilly aux Etats-Unis est vraiment prenante. Sebastian Barry mène avec brio deux plumes ici : celle de la poésie et celle du thriller.
Ayant lu le livre en VO, ce qui m'a frappée, c'est que ce roman est peuplé d'oiseaux (je ne suis déjà pas très fortiche en ornithologie avec des noms de piafs en français, alors autant vous dire que je me suis heurtée à un problème de vocabulaire sérieux dans les noms anglais!). Il y a les oiseaux de la nature irlandaise et les oiseaux humains qui sifflent dans leur salle de bain, s'envolent, disparaissant du jour au lendemain. En particulier, les hommes qui entreront dans la vie de Lilly. Des oiseaux partout chez eux, ici ou ailleurs. Aux Etats-Unis, ou en Irlande ou en Italie, ou en Afrique. Une image du peuple américain intéressante...
Lilly, quant à elle, organise ses souvenirs un peu comme dans un feuilleton TV (elle dit d'ailleurs que ses souvenirs sont comme une sorte de télévision). Le lecteur est pris dans l'enchaînement de sa vie et de ses rebondissements successifs au rythme de l'Histoire. Un récit riche en surprises, où rien n'est fortuit et ce, jusqu'à la dernière page. Un conseil : prêtez une attention particulière à la description de Joe, le deuxième homme de la vie de Lilly, après Tadg... Sebastian Barry insuffle dans son héroïne tout le talent d'une conteuse de veillée irlandaise ! D'ailleurs, elle adore les histoires : "I like stories that other people will tell you, straight from the mouth - or the gob as we used to say in Ireland. Easy-going tales, off the cuff, humourous. Not heavy-hearted tales of history."

On se prend d'empathie pour cette femme au coeur qui se brise comme une poupée de porcelaine. Une vieille femme de 89 ans au bord du vide mais à la vie bien remplie et qui ne se plaint pas. Malgré les malheurs qui l'ont frappée, elle ne s'est pas départie de son sens de l'humour. Elle résume sa rencontre avec l'homme de sa vie ainsi  : "It was my secret self meeting his secret self. They shock hands. They went at it."  

Sebastian Barry rend ici encore un roman émouvant, très riche et prenant. Je n'ai qu'un mot : somptueux !

Je ne regrette pas de l'avoir traîné dans mon sac à dos depuis Dublin et je me dis que j'aurais dû le lire depuis longtemps...

 

 

 

20 mai 2014

Mort en été

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4e de couverture : "Dublin, 1952. Dirk Jewell, le propriétaire du Daily Clarion, quotidien de la ville, est retrouvé mort chez lui, un fusil dans les mains. Appelés sur les lieux du drame, Quirke, le légiste tourmenté, et Hackett, l'inspecteur qui l'aide sur tous ses mauvais coups, constatent qu'il ne s'agit pas d'un suicide, mais d'un meurtre. L'homme était marié et père d'une fillette, richissime, très influent, redouté, jalousé, peu populaire, bref, voilà un meurtre entouré d'autant de suspects que de mobiles potentiels. Dès sa première rencontre avec les proches de la victime, Quirke est troublé par l'énigmatique veuve, par sa solitude, son mystère, sa froideur, son charme. Cette attirance va l'entraîner sur un chemin que sa conscience aurait dû lui interdire de suivre, et sérieusement compliquer l'enquête..."

Quatrième rendez-vous avec l'attachant Docteur Quirke, qui n'est pas un George Clooney dublinois, mais un médecin légiste adorablement bourré de défauts. Ayant largement trop abusé de la bouteille dans le volume précédent, il a renoncé à l'alcool après une cure de désintoxication. N'empêche, Quirke n'a pas besoin de boire pour endosser un rôle, devenir un autre personnage : celui du détective privé. C'est la mort du magnat de la presse dublinoise, Richard Jewell, surnommé très poétiquement Diamond Dick Jewell, c'est-à-dire en gros "Diamond du Gland de mes bijoux de famille"...
Ce qui pique la curiosité de Quirke et le mènera sur une pente glissante, c'est qu'aucun membre de la famille ne semble attristé par la mort de cet homme à la réputation sulfureuse. Malgré l'avertissement de sa fille Phoebe, notre bon vieux docteur se lance dans une enquête parallèle à celle son ami l'inspecteur Hackett, parce qu'il croit au meurtre et non au suicide. La police est une peu trop molle du genou à son goût !

En parlant de genou, on ne peut pas dire que Quirke soit très sage. Il est complètement scotchée par Françoise d'Aubigny, la veuve de Dirk Jewell, une Française et fait fi d'Isabel Galoway. Mais non content de mettre sa vie sentimentale sens dessus dessous, il tente même d'y entraîner Phoebe qu'il voudrait bien voir se caser avec son collègue, le jeune David Sinclair.

Si dans La disparition d'April Latimer, Benjamin Black mettait en scène un noir à Dublin, ici, il présente une autre minorité et tout le mystère et les préjugés qu'elle suscite dans l'Irlande des années cinquante : le juif, avec les personnages de David Sinclair et de la famille Jewell.

On retrouve aussi les thèmes chers à Benjamin Black : la maltraitance enfantine, la perte d'identité, la famille disloquée, le secret de famille. La résolution de l'énigme fera une fois de plus du coupable avant tout une victime. On devine d'ailleurs un peu trop vite qui est coupable de la mort de Richard Jewell, même si la raison de ses actes est savamment gardée jusqu'au bout.

Un roman noir agréable à lire même si cette fois j'ai trouvé que c'était un peu moins prenant que dans les précédents volumes.

L'autre défaut (indépendant du talent de l'auteur)  est que la parution des tomes en France est trop espacée : du coup on a du mal à se rappeler ce qui s'est passé auparavant. Mieux vaut avoir pris des notes car les principaux protagonistes évoluent.

Enfin, le personnage de la femme française est tellement caricatural que cela en est presque comique. Je ne vois pas John Banville/Benjamin Black ne pas le faire volontairement, mais je ne vois pas ce que cela apporte à l'intrigue puisque ce n'est même pas drôle cette femme fatale face au médecin tourmenté.

J'attends mieux du tome 5. Et dommage pour le doigt de David...
En tout cas, je veux savoir quelle sera  la prochaine bêtise de Quirke !

 

13 avril 2014

Rouge est le sang (The Redemption Factory)

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Paul Goodman, jeune homme de Belfast au chômage, ne trouve, pour se sortir de cette situation, que d'aller travailler dans l'abattoir de la ville, grâce aux conseils de son meilleur pote, "Lucky" (le mal-surnommé). Il y découvre un univers surréaliste, peuplé de personnages violents, des monstres, dans tous les sens du terme, dirigés par le sinistre Shank : celui-ci y fait travailler ses deux filles : Violet la Violente, défigurée par un accident de voiture, dont le visage ressemble à un spot de discothèque et Geordie, infirme qui ne peut se déplacer qu'avec une démarche chaloupée agrémentée d'un bruit de ferraille. 

Le roman s'ouvre sur une scène de torture et se poursuit avec le bizutage de Paul Goodman à l'abattoir. On pourrait refermer le livre, partir en courant. Pourtant, quelque chose vous aguiche, vous invite à poursuivre. Et il faut poursuivre pour découvrir une pépite, un polar comme vous n'en avez encore sans doute jamais lu. Un polar sans détective ni énigme à résoudre, très très noir, mais à la fois très drôle par moments, du polar à la sauce nord-irlandaise. Ici, pas de super-héros, mais des personnages rafistolés, déglingués, déjantés. Chacun à leur manière. Des meurtres. Et une histoire d'amour. Geordie, c'est un peu la petite soeur de Frankeinstein dans Belfast. Ambiance !

Un texte blindé d'argot, qui dit les choses sans s'encombrer de pudeur. Un bon suspense. On se régale. Et puis, avec Lucky, le champion du pub crawl, on apprend que "la seule chose meilleure qu'une bonne pinte de Guinness, c'est une bonne pinte de Guinness gratuite" ! Pardi !

C'était mon troisième rendez-vous avec Sam Millar. Un livre encore différent des deux lus précédemment. Un zeste d'autobiographie avec l'histoire du jeune belfastois qui va travailler à l'abattoir. Un sens de l'humour noir hors du commun.

Un très bon moment de lecture que je vous recommande !

Vivement que je découvre Les Chiens de Belfast, quand le livre gagné à la Masse Critique de Babelio de janvier daignera m'arriver...

 

 

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